Fanfan

Elle se prénomme Françoise mais tout le monde l’appelle Fanfan. Pendant des années, elle a vécu près du Phare de Biarritz. Un îlot de bonheur bercé par le bruit des vagues. Une petite maison au toit vert comme un repère. Pour la famille, les amis et les amis de ses amis. Et puis en 2018, c’est la porte de son cœur que Fanfan ouvre à de jeunes migrants venus de Guinée. Pour eux, elle devient alors « maman Fanfan ».

©Marie Minair

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« Le phare, c’est le point de départ ». De sa vie de femme car c’est à Brest qu’elle a rencontré son mari, Philippe, alors qu’elle avait tout juste 18 ans. Celui de Biarritz est un repère pour leurs trois enfants et leurs sept petits-enfants. Un guide pour tous les marins, les pêcheurs et les navigateurs. Et un symbole pour les jeunes Amadou, Karim et Mamadou et tant d’autres qui ont fui leur pays et traversé l’océan sur de petites embarcations. Avant de les rencontrer, Fanfan avait toujours perçu la mer comme une mère qui nous protégeait.

Nous sommes à la fin de l’année 2018. Les migrants et les réfugiés font tristement l’actualité. Après les blocages en Méditerranée, ils se frayent un chemin par le Maroc et l’Espagne. C’est comme cela que de nombreux enfants et adolescents rejoignent le Pays Basque. À Bayonne, des étudiants se mobilisent pour leur venir en aide. Petit à petit, ils se structurent, créent le collectif Diakité et récupèrent un local Quai de Lesseps. C’est via un appel à bénévoles relayé sur les réseaux sociaux que Fanfan décide de se rendre sur place. Son déclic? « Il s’agissait de femmes et d’enfants. Des êtres humains. Et il y avait une urgence ». Dans un premier temps, elle s’enferme dans la pièce où l’on procède au tri des vêtements, « je n’arrivais pas à croiser leur regard sans me mettre à pleurer ».

Et puis, un jour, alors qu’elle se trouve dans la salle principale pour préparer le repas, Fanfan saisit son économe et demande s’il y a des volontaires pour l’aider à éplucher les légumes. Amadou et Mamadou se dévouent : « ils m’ont tout de suite appelé maman. Submergée par l’émotion, je leur ai demandé de répéter. C’était bien le mot maman qu’ils avaient prononcé ». C’est comme ça que tout a commencé.

©Marie Minair

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« Petit à petit, ils sont entrés dans ma vie »

Au Local, le temps est comme figé. Ils passent leurs journées allongés sur des lits de camp. Fanfan décide alors de leur faire visiter Biarritz. Ils découvrent Le Port vieux, le Rocher de la Vierge, s’arrêtent un instant face à l’océan. « Ils étaient discrets et moi très curieuse. Ils avaient peur de me confier leur récit de vie » se souvient Fanfan. Elle se souvient également de leurs rires d’enfants et de leur émerveillement lorsqu’elle les a emmenés à la piscine de Biarritz. « On a beaucoup ri, mais une fois dans l’eau, je crois qu’ils ont pris conscience du danger encouru lors de leur traversée, ils ne savaient quasiment pas nager ». Un papi les aborde et improvise un cours de natation. Le regard porté sur eux était plutôt bienveillant, malgré un décalage évident. « Je voulais leur apprendre les codes. Cela impliquait de les bousculer. On ne savait pas combien de temps ils allaient rester, ils devaient vite s’intégrer  » poursuit Fanfan.

Les liens se sont tissés, la confiance s’est installée. Les garçons venaient régulièrement chez Fanfan, elle lavait leur linge chaque semaine. Une fois, ils ont cuisiné un Foutti, plat typique guinéen, pour toute la famille. Et le premier jour de 2019, ils ont dansé toute la nuit. Et puis la réalité les a rattrapés. Bayonne comptait beaucoup d’arrivées, la situation devenait compliquée. Il a fallu prendre la décision de changer de destination, « de ma vie, je n’ai jamais autant pleuré ». Amadou a rejoint Annecy où une autre bénévole a pris le relai. Mamadou est parti sans savoir vraiment où il allait. « La nuit de son départ, il m’a envoyé des textos pour me dire où il se trouvait et puis, il a avait tellement froid qu’il ne pouvait plus m’écrire. Je suis donc restée au téléphone avec lui jusqu’au lever du jour ». Ils ont parlé de tout. De rien. De leurs souvenirs communs.

©Marie Minair

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« Le jour où Mamadou m’a appelé pour me dire qu’il était reconnu mineur, c’était comme s’il venait de m’annoncer son entrée en médecine! »  Bientôt trois ans après leur départ, pas un jour ne passe sans que Fanfan communique avec ses enfants de coeur. Pour comprendre une facture d’électricité, lorsqu’ils ont besoin d’être rassurés, ou simplement pour papoter. Fanfan est fière de la vie qu’ils sont en train de bâtir en France : « J’ai beaucoup de chance, les jeunes à qui j’ai fait confiance se débrouillent super bien ». Mamadou est en CAP hôtellerie à La Rochelle et travaille dans un hôtel aux côtés d’une tutrice très bienveillante. Amadou est cuisinier dans un restaurant d’Annecy mais n’a pas abandonné son rêve d’étudier l’informatique.

« Nous sommes venus sécher les larmes causées par notre départ »

La première fois qu’ils sont revenus pour les vacances d’été, c’est ce que Mamadou avait déclaré. « J’étais dévastée, c’était les premiers. Le social c’est un métier, nous on était trop mamans, dans l’affect et le sentiment » avoue Fanfan. Aujourd’hui, elle retourne à Bayonne de temps en temps, pour discuter avec les nouveaux arrivés, pour donner un coup de main, différemment. Ces rencontres ont changé quelque chose dans sa façon d’appréhender la vie. Se contenter de ce que l’on a, mesurer sa chance. Elle profite chaque jour de sa famille, de ses enfants et des sept petits-enfants qu’elle garde très souvent. Elle continue de distiller autour d’elle la joie qui la caractérise avec l’énergie folle dont elle dispose. Et même si, avec son mari Philippe, ils ont quitté le phare, ils ont construit une nouvelle maison du bonheur à Anglet. Pour la famille, les amis, les amis de ses amis, pour eux. Un nouvel endroit repère, on l’on se sent chez soi. C’est ce que Mamadou lui a confié récemment « quand je viens ici, j’ai l’impression d’être au pays ».