Emilie Frèche
« Nous n’avons pas échappé aux statistiques, comme 80% des couples, après 15 ans de vie commune et deux enfants, Adam et moi ne couchions plus jamais ensemble. » Les premiers mots de la narratrice plantent le décor d’ « Un homme dangereux », le nouveau roman d’Emilie Frèche paru le 19 août dernier. Je l’ai retrouvée dans l’appartement d’une amie à l’heure du thé.
« Au début, j’avais écrit comme 99% des couples mais on m’a fait le reproche de ne laisser aucun espoir. » Le nouveau livre d’Emilie Frèche commence par une absence totale de désir entre la narratrice qui se prénomme Emilie et son mari Adam, et cette porte qu’elle ouvre en décidant de prendre un amant. Qui peut vivre sans sexe à 35 ans? Elle ne ressent pas son adultère comme une trahison, mais comme une manière de sauver son couple. L’auteur trouve cela intéressant d’aborder la question alors que nous vivons dans une société « hypersexuée » qui glorifie la performance, et dans laquelle on donne le sentiment que tout le monde baise alors que c’est peut-être tout le contraire. Emilie Frèche ne mâche pas ses mots. L’Emilie du roman non plus. Elle est plutôt sûre d’elle et satisfaite de l’équilibre qu’elle a trouvé. Jusqu’au jour où, par la petite porte qu’elle avait laissé entrouverte, se glisse Benoît Parant, un homme brillant qui va fracasser ses certitudes. Ce personnage malsain va petit à petit l’emporter dans un tourbillon de violence, va ébranler sa confiance, la rendre dépendante de lui et de ses sms, la manipuler jusqu’à l’humilier purement et simplement. Dans « Un homme dangereux » Emilie Frèche a voulu montrer que nous sommes tous sur le fil du rasoir et que notre équilibre émotionnel est extrêmement fragile.
Depuis la sortie de son livre, les retours des lecteurs sont bons. Le style d’Emilie Frèche est fluide, ses mots sont aussi percutants que l’emprise de cet homme dangereux est puissante. L’urgence de la situation rend la lecture haletante et l’Emilie du roman nous emporte. Pourtant, l’accueil réservé à son nouveau livre n’est pas unanime. Certains croient reconnaître en Benoit une personnalité du monde littéraire et l’emploi de la première personne sème la confusion. « La narratrice me ressemble mais ce n’est pas moi » précise Emilie. Même si évidemment, chaque auteur met une part de lui dans ses écrits. Et au même titre qu’elle trouverait étrange de demander à un cuisinier comment précisément il a établi sa recette et avec quel dosage, elle ne souhaite pas décortiquer chaque page et expliquer ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas : « par le truchement du roman je mets quelqu’un à nu qui n’est pas vraiment moi mais qui porte quand même mon prénom ». Elle s’en amuse « Je prends plaisir à bousculer les gens, quitte à les mettre parfois mal à l’aise ». Mais sans violence. Ce qui compte pour Emilie Frèche est que le lecteur puisse croire à l’histoire qu’elle raconte. Et ici, la seule vérité qui importe est celle du sentiment. L’humiliation que l’on peut ressentir dans une telle situation, l’affolement, l’addiction.
« Quand on écrit on se sert de ce que l’on vit, de ce que l’on ressent et puis on tourne la page. »
Il n’est pas toujours confortable pour l’entourage d’un auteur de se reconnaître dans l’une de ses publications. Et même si « Chouquette » dans lequel elle « abîme sacrément » le milieu dans lequel elle a grandi lui a valu d’être fâchée deux ans avec sa mère, elle est admirative de ses parents qui aujourd’hui ont compris que leur enfant avait, via sa plume, son espace de liberté… Pour elle, écrire n’est pas thérapeutique : « chaque livre m’enfonce toujours plus loin dans le prochain. » C’est un chemin et elle comprend Houellebecq lorsqu’il affirme qu’il faut lire les livres dans l’ordre. Elle n’aurait jamais pu écrire « Un homme dangereux » sans les ouvrages précédents. Et comme à chaque fois, la sortie de celui-ci est « difficile ». Car ses livres lui ressemblent et ça la rend forcément vulnérable. « Si au moment où tu le fais, c’est une nécessité absolue, une fois paru tu ne maîtrises plus rien. » Elle poursuit. « C’est la règle du jeu et il faut l’accepter. J’évite juste de lire les critiques lorsqu’elles sont trop méchantes. »
La violence verbale justement a toujours été au centre de son travail; « parce que je suis pétrie de cette histoire-là. » Elle évoque son père. Une figure charismatique, parfois cassante. Des traits de caractère que l’on peut retrouver dans celui qu’elle dépeint dans son précédent roman « Deux étrangers ». « Mais tout passe » me dit-elle d’une voix si basse que j’en perçois à peine le son. « Je me sens aujourd’hui grandie, libérée… » Elle se tait un moment… « Durcie ». Emilie semble à la fois forte et fragile. Grâce à « Deux étrangers » elle est devenue une femme; « avant ce roman, j’avais trois enfants mais j’étais avant tout une fille. » Avec ses trois garçons, elle essaie d’être présente au maximum. Passe son temps à leur dire qu’elle les aime. Culpabilise si elle estime ne pas les voir assez. Regrette de s’emporter parfois.
Elle pense déjà à son prochain roman. Il parlera de comment on se dispute un territoire, dans une famille recomposée. Du vivre-ensemble. S’inspirera-t-elle de sa propre expérience? « Ce qui m’intéresse est d’aller de l’infiniment petit à l’infiniment grand. La première expérience politique étant la famille. »
L’entretien touche à sa fin. Après cette heure passée à ses côtés, je n’ai pas envie de savoir ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas dans son roman. Car lorsqu’elle se raconte, l’Emilie qui se trouve devant moi ne semble pas tricher.
Emilie Frèche vient de publier « Un homme dangereux » aux éditions Stock. Elle a également co-écrit trois scénarios : « 24 Jours » d’Alexandre Arcady, avec Zabou Breitman et Pascal Elbé; le prochain film d’Yvan Attal, une comédie qui traite des clichés sur les juifs et qui sortira courant 2016; et enfin avec Marie Castille Mention-Schaar (Les héritiers) un scénario sur deux jeunes filles qui partent en Syrie. Le tournage commence en novembre. Son rêve? Faire son propre film.
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