Agnès Hurstel
« Si j’avais su que lire tout Marguerite Duras et sucer autant ça m’amènerait dans un sous-sol, j’aurais moins lu ». Voilà comment Agnès Hurstel plante le décor d’ Agnès bande, son premier one woman show qu’elle joue le mercredi soir dans la cave du Sonar’t à Paris; un lieu « humide et convivial ». Sur scène, Agnès parle cru, cul, mais elle se met surtout à nu. Rencontre sans filtre autour de quelques litres de thé avec une jeune pipelette à la tête bien faite.
© Marie Minair
Elle aurait pu faire Normale Sup’… Mais c’est sur la scène intimiste où elle rode son premier spectacle qu’Agnès exulte. Si c’est en parlant « cul » qu’elle nous accroche, ce n’est qu’un prétexte pour nous embarquer dans l’univers drôle et sensible d’une jeune femme qui se débat avec ses contradictions. Celles d’une meuf de 25 ans qui essaie péniblement d’accorder les désirs de son vagin, de son cerveau et de son coeur « ce gros mongole ». Elle interagit avec son public, drague avec un aplomb déconcertant les mecs qui se trouvent dans la salle… Ces mecs qui semblent bien moins à l’aise que les nanas qui rient aux éclats. « Ne réponds pas ce n’est pas un dialogue. C’est mon heure de travail alors tu te tais ». Tout le monde en prend pour son grade, et elle la première. La jeune comédienne n’hésite pas à s’abîmer. Agnès bande n’est pas un spectacle de filles ou l’énième pamphlet d’une nana qui s’est faite larguer. Elle ne souhaite d’ailleurs pas opposer les sexes. A coups de bousculades Agnès veut nous déculpabiliser pour mieux nous réconcilier.
C’est ce que ce petit bout de femme plein d’énergie s’évertue à m’expliquer alors que nous sommes installées dans mon salon en fin de matinée. « Au fond, ce que nous souhaitons tous c’est aimer et être aimé » me lâche-t-elle entre deux tafs de cigarette. Au final, si elle parle aussi crument de cul, son propos est cucul. C’est un message d’amour qu’elle souhaite véhiculer. Et amoureuse, elle l’est. De monsieur Poulet qu’elle s’amuse à mettre en scène dans son spectacle. Elle l’a rencontré alors qu’elle travaillait dans un resto où elle doublait son salaire en pourboire « grâce à mes blagues ». Elle poursuit « Quand tu es comédienne, tu es serveuse en fait ». Nous rions.
Comédienne est le métier qu’elle a choisi. Elle s’est d’abord essayé à la danse pendant la majeure partie de son enfance, puis au cirque. Mais des problèmes de dos l’ont contrainte à abandonner. Si c’est une jeune femme bien dans son jean’s qui s’agite sur la scène du Sonar’t, cela n’a pas toujours été le cas. Son adolescence a été marquée par le port d’un corset et une lourde opération. « Mais c’est du passé ». Enfin réconciliée avec ce corps qui l’a tant fait souffrir, elle peut désormais en jouer : « Pour chaque vanne qui sort, une bite est rentrée, plus tu avales, plus tu es drôle ». Sur scène, Agnès crache lorsqu’elle fait parler son vagin, se prend la tête lorsqu’elle personnifie son cerveau et se moque de son coeur handicapé. Elle bande ses plaies. « J’aime mentir. Les gens ne peuvent pas distinguer le faux du vrai. Certaines anecdotes me sont arrivées et d’autres je les ai inventées ». La seule vérité qu’elle précise est qu’elle n’est pas nymphomane.
© Marie Minair
Le stand up, elle n’a jamais aimé ça. Jusqu’à ce qu’elle le pratique.
Agnès a écrit quelques pièces sombres lorsqu’elle étudiait le théâtre. Se rêvait comédienne ou scénariste. Et puis, il y a un an, un super prof la pousse dans ses retranchements en lui demandant de s’essayer à ce qu’il la terrorise le plus. L’humour. En quelques minutes, le public composé de 24 comédiens est conquis par une Agnès qui sort de sa zone de confort et elle y prend un plaisir fou. Le lendemain, elle débarque au Paname. Le surlendemain, elle monte sur scène pour y vomir son passé amoureux avec beaucoup de cynisme. Et c’est une révélation. Elle écrit Agnès bande, écume les bars et atterrit au Sonar’t. Un destin bien éloigné de son passé « littéraire ». Après un baccalauréat obtenu au lycée français de Londres, Agnès fait hypokhâgne et khâgne et rate l’entrée à Normale Sup’ avant d’intégrer plusieurs écoles de théâtre. Pour une intello, faire du stand up est dévalorisé. Mais elle assume : « je suis plurielle ».
Agnès bande est une manière de faire un doigt d’honneur à sa famille bourgeoise? « Oh non pas du tout. Mon grand-père a adoré le spectacle. Ils ne sont pas pervers et fous mais ce sont des gens libres et très drôles qui me soutiennent à fond ». Son papa, expert comptable, a monté une boite de conseil en valeur humaine. Il aurait adoré être humoriste. Sa mère, française d’origine américaine et belge, « ressemble à Jackie Kennedy en blonde » et travaille dans l’art. Agnès a grandi avec l’idée qu’être artiste était une chose formidable. Son père est d’origine juive et sa mère catholique « mais super détente » me précise-t-elle. « Ils ne nous ont jamais rien imposé. A un moment, j’ai souhaité étudier la Torah et mon frère a voulu être baptisé ». Ses arrières grands-parents paternels ont tous été déportés. Sa grand-mère a d’ailleurs publié récemment son Journal d’une adolescente juive sous l’occupation : « un livre magnifique ». Je relance la bouilloire alors qu’elle me raconte des anecdotes sur sa famille tentant de fuir avec la Gestapo. « J’ai commencé à écrire une pièce sur le sujet. » Nous passons à autre chose.
Agnès est bavarde. Petite, on lui reprochait de trop parler. L’adjectif qui revient le plus souvent pour la définir, même en casting? « Atypique ». Cette petite brune aux yeux bleus, toute mince, a des airs de bourgeoise du 7ème avec son trench beige lorsqu’elle déboule chez moi. Pourtant, sur scène, c’est sans vergogne qu’elle débite son flow de paroles à 50 centimètres du public. « Une expérience formidable et casse-gueule » qu’elle adore. Je lui propose d’ôter ses vêtements et de ne garder que son trench pour la séance photo. Elle hésite quelques secondes et puis se lance « je me suis construite comme s’il fallait être un mec, j’étais sur la défensive. Aujourd’hui, je trouve ça plutôt cool d’être une meuf. » Elle court dans tous les sens. « Tu crois que je dois mettre du rouge à lèvres? Bon je garde mes baskets meuf. Holala mais il fait froid dehors. Non mais je suis à poil ! »
A terme, Agnès aimerait ne pas se cantonner à un style. Les cases elle n’aime pas ça. Elle s’y sent à l’étroit. C’est ce que raconte Agnès bande. Et le spectacle est à son image. Drôle, percutant, profond et singulier. En plus, cette grande gueule d’un mètre soixante-quatre a un talent fou.
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