Sophie Fontanel

C’est au large de Hyères, dans la partie naturiste de l’île du Levant entourée de barbelés, qu’avec son corps Sophie Fontanel a fait la paix. En quittant son armure de vêtements, elle a comme réparé sa chair blessée il y a plus de quarante années. Dans Capitale de la douceur, son dernier roman paru aux éditions Seghers, Sophie Fontanel choisit la poésie pour nous raconter la violence qu’elle a subi. Dans une ode à la douceur, elle utilise sa voix pour nous montrer la voie.

© Olivier Pastor

© Olivier Pastor

« Je voulais que ce livre soit comme un chant ». Voilà pourquoi Sophie a choisi d’énoncer en vers. D’énoncer et non de dénoncer. Justement parce que son récit porte d’immenses traces de violences. Alors c’est dans la poésie qu’elle a puisé la force de se dévoiler. Et dans la douceur qu’elle s’est réfugiée. Elle devait avoir 15 ou 16 ans, Sophie a mis des années à recoller les morceaux de son passé. Pendant près de 40 ans, elle n’a jamais osé prononcer le mot « viol ». Elle l’avait évoqué pour la première fois dans un épisode de La Poudre, le podcast de Lauren Bastide, en 2017 « Ce n’était pas si facile de le dire à l’époque et la chose dont je ne parle pas dans cette interview, ce qui a rendu cet acte si barbare, c’est qu’il a été accompagné d’une blessure si importante que mon corps n’a jamais pu retourner à la sexualité. » Si elle l’évoque dans son roman, Sophie Fontanel refuse que l’on qualifie son récit comme celui d’une agression. « C’est la résolution d’une agression » précise-t-elle.

« C’est l’histoire d’une réparation » qui se déroule sur l’île du Levant.

Ce petit paradis des îles d’Or dans le Var a été façonné à mains nues dans les années 1920 par un groupe d’utopistes « persuadé que l’on pouvait vivre avec de l’eau de pluie ». Sur les 5% de l’île aujourd’hui réservés aux naturistes, la société du Levant est régie par une extraordinaire tolérance. C’est ce qu’a découvert Sophie Fontanel lorsqu’elle a osé déposer au sol ses vêtements. Elle écrit : « Par sa simple présence, le peuple de la crique mettait fin à une solitude immense, on attend si longtemps d’avoir confiance et l’on se sent exclu, on attend désespérément mais un jour on découvre qu’être nu c’est pouvoir l’être en paix, en remontant vers le sentier je pleurais. » Le fait de retrouver cet état de nudité qui lui avait porté un si grand préjudice, sans qu’aucun drame ne survienne, a bouleversé Sophie. Et en laissant apparaître sa peau dénudée, c’est comme si elle l’avait finalement aidée à cicatriser.

Sur son rocher, Sophie s’est sentie en sécurité. Pourtant, ce petit havre de paix est cerné par une base militaire qui occupe les 95% restants de l’île. Ce qui fait la beauté du récit de Sophie, c’est la douceur avec laquelle elle le construit. Comme un acte de résistance, elle aurait pu dire à son agresseur « Même pas mal à ma douceur ». Comme un rempart contre la douleur. Sophie Fontanel a refusé de balancer son porc, mais a accepté de dire « #MeToo ». Pourtant, sans cette violence déverrouillée, elle n’aurait jamais écrit ce roman. « Je me suis interrogée, pourquoi je réagissais comme cela, sans m’énerver ? ». Peut-être pour préserver quelque chose de l’enfance. Parce que Sophie a été éduquée dans la non-violence. Par un père incapable d’haïr les Allemands même en temps de guerre. Avec une grand-mère arménienne dont le père avait été pendu par les Turcs et qui refusait de les détester : « J’ai grandi dans une famille où l’on ne faisait jamais de généralisation ». Et puis, elle ajoute, « dans cette vie, il faut des gens doux, ne serait-ce que pour donner l’exemple ».

« Ce que je fais, je ne le fais pas que pour moi. »

Si Sophie Fontanel a fait le choix de poser nue dans le Elle, c’est parce qu’il « n’est plus possible que les femmes aient honte de leur corps quand il vieillit. Il n’est plus possible que les femmes aient peur de montrer leur peau par crainte de se faire agresser, même si c’est une réalité. » Sophie s’est mise à nu au sens propre comme au figuré. Sur l’une des photos, elle dévoile même l’endroit où elle a été blessée. La veille de la parution elle s’est interrogée, « Mais qu’est-ce que j’ai fabriqué ?! ». Depuis la sortie du magazine et des 8 pages qui lui sont consacrées, Sophie a une extinction de voix, « après la séance photo, je suis tombée malade. Tout en étant très heureux, mon corps n’en revient pas de ce que je lui fais vivre ».

« Ton livre est un séisme » lui a confié une journaliste récemment. Depuis quelques années, dès qu’un roman de Sophie Fontanel paraît, son influence grandit, « tout en étant une outsideuse qui a tout fait à part » ironise Sophie. Ce pas de côté permanent qu’elle fait lui permet d’observer. C’est d’ailleurs comme cela qu’elle aime se qualifier « je suis une observatrice ». Ou une « écrivaste ». Une personne qui écrit quelque chose de vaste, qui la dépasse. Dans Capitale de la douceur, elle se demande « mais la mode était-ce vraiment mon domaine ? ». Ce sont en tout cas les vêtements qui lui ont sauvé la vie. Lui permettant de protéger son corps meurtri. Lorsqu’elle était enfant, Sophie voulait être écrivaine publique, « c’est ce que je suis aujourd’hui ». Elle se rêvait chanteuse, poétesse. « J’avais envie qu’on me regarde, je voulais être importante ». Importante, Sophie Fontanel l’est aujourd’hui. Et la poésie qui l’a toujours habitée, cette voix que son agresseur avait étouffée, c’est comme si sur ce rocher au Levant elle l’avait libérée. La douce révolution de Sophie ne fait que commencer.

Sophie Fontanel est écrivaine et journaliste (L’OBS). Elle a publié 17 romans dont Grandir (Laffont) en 2010, Une apparition (Laffont) en 2017 et Capitale de la douceur (Seghers) en septembre 2021.

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