Mathieu Bastareaud

On le surnomme « Bastarocket » pour sa rapidité sur les terrains de rugby et sa capacité à percuter les défenses adverses. Si cette image un peu « brutale » lui colle à la peau, elle s’effrite au moment même où Mathieu Bastareaud me salue timidement. Ce soir, « Basta » est resté au vestiaire et c’est avec Mathieu que je suis allée dîner.

© Marie Minair

Nous avons rendez-vous sur les plages du Mourillon à Toulon. On pourrait penser que Mathieu y sort souvent, mais ce n’est pas le cas. « Je passe beaucoup de temps chez moi. Je n’aime pas forcément me balader. » Mathieu n’est pas aussi fêtard qu’on le prétend. C’est un jeune homme discret qui ne souhaite pas faire de vagues. D’ailleurs les vagues, il n’aime pas ça. « Je sais nager, mais la mer me fait peur. Je reste où j’ai pied »… Ayant déjà bu la tasse, Mathieu craint la noyade. Au sens propre comme au figuré.

Nos premiers échanges sont plutôt timides. Au fil des années, Mathieu s’est forgé une carapace. Son ascension dans le monde du rugby professionnel, à l’âge où l’on découvre à peine la vie, a été fulgurante. Sa chute d’autant plus violente. Son destin aussi exceptionnel que tragique. À 18 ans, alors qu’il évoluait à Massy en Fédérale 1, Bernard Laporte le convoque en Équipe de France. Le rêve absolu. Deux ans après, il est au cœur d’une affaire d’État lors de la tournée des Bleus en Nouvelle-Zélande; pour une « connerie d’adolescent »… Le monde dans lequel il a été propulsé si jeune l’a écorné. Mais Mathieu a su se relever, « La tête haute », comme il l’explique dans son bouquin paru l’an dernier.

Faut dire que le temps a passé. À seulement 28 ans, Mathieu a déjà une longue carrière derrière lui. Et un palmarès prestigieux … Champion de France et d’Europe en club, un tournoi des 6 nations en poche,… Si les portes du XV de France lui sont fermées depuis l’an dernier, Mathieu ne se sent pas offensé « Bien sûr, c’est un honneur de jouer pour mon pays. Mais je prends ces décisions avec recul. Le RCT est un club compétitif qui joue au plus haut niveau ». Cela suffit pour le moment à étancher sa soif de défis.

Le serveur nous interrompt. Mathieu commande un Tataki de thon et des légumes, ainsi qu’un cocktail de fruits sans alcool : « Je ne bois pas la semaine et je fais attention à ma ligne ». Depuis quelques temps, il s’intéresse à la diététique et prend même des cours de cuisine. « J’entends les critiques à mon égard. Cette saison, j’ai décidé de mettre toutes les chances de mon côté pour n’avoir aucun regret ».

© Clément Minair

Chez lui, les remises en question sont permanentes.

Comme les gens qui réfléchissent beaucoup (trop), Mathieu dort très peu ; « cinq heures par nuit ». Couche-tard ? « Non ! Tous les matins je me réveille vers 5h ou 6h, même les jours « off ». Si je suis sorti la veille, je peux me lever à 8h ». Et ne croyez pas que c’est pour faire des parties de FIFA ou bouquiner des mangas. Il prend le temps d’apprécier le matin, sort son chien Luffy, traite la « paperasse ». « J’apprécie d’avantage mes journées ainsi, et je me sens mieux ».

Mathieu semble avoir trouvé un équilibre. Le travail avec son coach mental l’a aidé, les discussions avec Diego Dominguez aussi. « J’ai senti qu’il me conseillait pour mon bien et ça m’a motivé ». Il peut être têtu, râleur (c’est lui qui le dit), mais ce n’est pas un mauvais bougre. Il faut savoir le prendre. La vérité est qu’il marche à l’affect. Et ce qui peut passer pour de la froideur est en réalité un masque qu’il porte pour se protéger. Sensible ? Il l’est incontestablement. Et regrette que cela soit mal perçu dans le milieu du rugby. En dehors des terrains, le guerrier du Rugby Club Toulonnais prend soin de sa cuirasse. Il est connu pour ses looks originaux, ses coiffures extravagantes… et son corps est en quasi-totalité tatoué. Ce qu’il dit moins, c’est que la première pièce qu’il s’est fait graver sur la peau à sa majorité est le prénom de sa maman, Dania. « C’est une mère-poule. Cette semaine (elle est en vacances chez lui), elle m’a poussé à aller me présenter à mes nouveaux voisins. Sans elle, je ne l’aurais jamais fait ».

À mesure que nous discutons, Mathieu devient plus bavard. Mais prend le temps de choisir ses mots : « Je ne parle que lorsque j’estime que c’est nécessaire. Les gens qui ont un avis sur tout me dérangent ». Mathieu Bastareaud est un observateur. Une qualité qui lui permet de mieux appréhender les autres, de faire le tri. Il a des amis proches. « Des amis d’enfance, pas forcément dans le milieu du rugby ». Il a aussi rencontré de chouettes personnes à Toulon. Où il vient d’acheter une maison. Un signe fort ? « J’aime énormément Paris, mais j’avoue que descendre dans le Sud est plus facile que de faire le chemin inverse ». Ce n’est donc pas certain qu’il regagne la capitale après sa carrière. « J’aimerais vivre une expérience à l’étranger. Londres me parle beaucoup. J’aime l’esprit qui s’y dégage ». L’après rugby ? « Pourquoi pas travailler avec les enfants. Les jeunes des quartiers qui sont de plus en plus délaissés ». Une manière de rendre ce qu’on lui a donné ? « J’ai eu la chance d’être encadré par de grands coaches, de vrais éducateurs ». Comme son entraîneur à Créteil qui l’a profondément marqué.

Ceux qui lui collent une étiquette de « mec de banlieue » avec les à priori que cela comporte, seraient étonnés de le rencontrer.

« J’ai eu une enfance heureuse ». Ses parents ont divorcé alors qu’il n’avait que trois ans mais Mathieu n’a pas souffert de leur séparation ; « Je voyais souvent mon père ». Et même s’ils avaient des revenus modestes (sa mère travaillait aux PTT et son père dans une boîte de transports) il a été plutôt gâté ; « Mes parents se sacrifiaient pour nous ». Mathieu est l’avant-dernier d’une fratrie de quatre enfants. Il a une grande sœur et deux frères. Une famille recomposée plutôt soudée ; « même si on a encore du mal à dire « je t’aime ». Ma mère s’exprime davantage. Moi je suis très pudique, comme mon père ».

En ce moment il lit « L’homme qui voulait être heureux ». « Cela me parle car je commence à m’intéresser au Bouddhisme ». Parfois il écrit, ce qui lui passe par la tête, ou couche sur papier ses soucis « dans un petit carnet de bord qu’une ex m’avait offert ». Son rapport aux femmes ? « Je ne suis pas dragueur, sauf si vraiment j’ai un coup dans le nez. » Il rit. Par peur d’être maladroit ou de ne pas plaire, il ne fait jamais le premier pas. « La vérité est que je ne sais pas y faire ». Son statut de célibataire n’est pas toujours facile à assumer avec ses coéquipiers quasi tous mariés et pères de famille. « Mais tant pis, j’attendrai que l’amour frappe à ma porte… J’ai encore le temps. »

Le temps file justement et le dîner touche à sa fin. Avec beaucoup de courtoisie, Mathieu règle l’addition avant de me raccompagner à ma voiture. Il en profite pour me glisser en plaisantant : « Ça va râler car j’accorde peu d’interviews. C’est vrai que j’ai un côté ours. » Je n’ai pas osé le contredire, mais j’aurais plutôt dit « nounours ».

Mathieu Bastareaud est un joueur international français de rugby à XV évoluant au poste de centre au sein du Rugby Club Toulonnais depuis 2011.